Tres beau texte sur la peinture de NVB (en français)
Nicolas Vignau-Bégué peint-il des rizières ?
Sous nos yeux semblent s’étaler à perte de vue les terrasses gorgées d’eau qui serviront à l’éclosion du riz. La terre n’y serait plus que nourricière, quoiqu’engorgée seulement. Engrossée, elle n’a pas encore porté à terme sa précieuse semence. Mais sommes-nous sûrs qu’il s’agit là de riz ? Si ces tableaux nous parlaient plutôt du ciel, et non de la terre. Si ces étages d’eau tournés comme des miroirs vers un ciel blanc gris permettaient à ce dernier de s’y mirer à l’infini. Ce ne serait plus alors de la culture des hommes, de leur sueur, dont nous parlerait Nicolas Vignau-Bégué mais d’un ciel vidé qui ne peut saisir de lui-même qu’un reflet diffracté, en des éclats épars de terrasses-miroir se perdant à l’infini. Vide dégrisé du ciel, terre dont il ne reste à peine que des contours noirs, voilà que le travail des hommes pour engrosser la terre et nous y sustenter nous tend l’image renversée de son évidement.
Pourtant, ces lignes pourraient tout aussi bien être celles géodésiques des cartes de géographie, symbolisant le degré de la pente. Les rizières laisseraient alors place à une mise en forme dépouillée d’un paysage avec ses fortes déclivités et ses courbes douces. Seulement regardez comme soudain s’effondre l’espace, sol happé par une fissure souterraine. Tout y dégringole et s’y casse. La masse du sol s’y affaisse, puis de justesse se retient, évitant de s’écrouler tout à fait. C’est cet effort de la terre qui nous est donné à voir, celui par lequel, de suspension en suspension, chaque étage retenant le précédent et le suivant, elle refuse de se déliter. Et voilà que les terrasses résistent malgré les fractures, s’amoncèlent, gagnent des hauteurs. Elles sont les traces des sédimentations successives de l’écorce terrestre, elles disent par couches quelque chose de notre histoire. Entre élévation et déroute, résistance et délitement : les terrasses deviennent les symboles de cette terre qui se cherche et vit entre la hauteur et la chute.
Ce n’est cependant pas là tout. Si maintenant les lignes se mettent à onduler, à se répandre à la superficie du tableau, comme le feraient des ondes à la surface de l’eau, produites par les battements d’un cœur irrégulier, elles ne figurent, ne représentent alors plus rien. Il n’y a qu’à les suivre dans leur fréquence et leur mouvement. Ici, les lignes s’enroulent, tremblent, se brisent, sont saisies de soubresauts, se reprennent, s’apaisent. Là, elles s’étirent, se tendent comme des cordes d’arc prêtes à claquer d’un coup sec. Elles se font ondes ou sillons. Elles se rebiffent, se rebellent, prennent leur indépendance, dansent.Elles forment alors le paysage d’une âme, rétive à l’ordonnancement du râteau.
Céline Belloq